Dès les années 1950, les travaux de J.‑C. Gardin concernèrent à la fois l'archéologie et l'automatisation naissante du calcul numérique et de la documentation. En 1961, à partir de tablettes cunéiformes assyriennes documentant des relations économiques, il publia avec P. Garelli la première application automatisée de la théorie des graphes à des matériaux historiques. Elle fut ensuite largement ignorée tant en archéologie qu'en analyse de réseaux. Toutefois, depuis vingt ans, les revendications socio-épistémiques liées à la généralisation d'internet et de l'informatique (humanités numériques, archéologie computationnelle, etc.) ont accru l'intérêt porté aux travaux – jugés précurseurs – de Gardin. Fondé sur des archives et des publications, cet article défend la pertinence d'une sociologie historique du texte scientifique pour l'histoire de l'automatisation des sciences historiques. L'identification de Gardin comme précurseur influent d'une archéologie computationnelle est nuancée, en montrant que 1) malgré son accès facilité à des ressources (financières, instrumentales, etc.) alors rares et ayant pu favoriser la fondation d'une école ou d'une spécialité, il ne poursuivit pas cette ambition ; 2) les objectifs démonstratifs qu'il attribua à l'étude de 1961 du réseau économique ont varié entre les années 1960 (démontrer l'intérêt du calcul non numérique) et les années 1980 (légitimer la simulation en sciences sociales) mais n'ont, jamais, concerné « l'analyse de réseaux » – ou toute autre procédure algorithmique – en tant que telle.